La peur chez nos voisins littérateurs Freud: Der Unheimlich
Si je me plonge dans la littérature, je couperai pas à Freud, donc on va s'en débarrasser maintenant et éviter d'y revenir. Brrr, rien que d'y penser, je crois mieux saisir ce qu'est l'horreur.
En 1919, Sigmund Freud publie un essai appelé "Der Unheimlich" (traduit en langue de chez nous, ça donne: l’inquiétante étrangeté). En gros, Unheimlich, uncanny chez les anglophones, c'est ce qui mène à la peur. L'angoisse. Pas un jump-scare, qui serait une montée soudaine d'adrénaline, mais un malaise sur la durée.
Freud se base sur l'analyse que fait Ernst Jentsch d'une nouvelle du maître allemand de l'horreur de l'époque, E.T.A Hoffmann. La nouvelle s'intitule "Der Sandmann" et elle est tellement longue qu'on pourrait la considérer comme un petit roman. En plus, elle fait même pas peur. Enfin pas vraiment. Enfin pas trop. Disons qu'elle a pas spécialement marché sur moi, mais que je vois bien que ça pourrait marcher. Le titre, Der Sandmann, fait référence à la version allemande du marchand de sable, une version qui est à notre gentil porteur de beaux rêves ce que les contes de Grimm sont aux contes de fées. Notre homme au sable est un horrible bonhomme qui jette du sable dans les yeux des enfants refusant de dormir, ce qui fait sortir les globes oculaires des orbites des bambins. Il se trouve que les yeux sanglants d'enfants sont la nourriture de base des rejetons du Sandmann qui vivent sur la lune. Charmant non?
Que dit Freud?
D'abord il dit que Jentsch n'a rien compris à la vie. Jentsch maintient que le malaise est créé par "l'incertitude intellectuelle". En gros quelque chose qui est à la fois une raison d'avoir peur, mais juste assez vague pour pouvoir être rationalisé. Est-ce qu'il se passe un truc louche? Oui, non, t'es sûr que tu rêves pas? Ou peut-être que tu imagines des trucs? Mais il se passe un truc non? Jentsch aime plus la poupée vivante (autre personnage de l'histoire) que le Sandmann. Quand on la rencontre elle est décrite comme une vraie femme, mais avec un peu trop de… pas assez… enfin quelque chose en moins et des trucs en plus quoi. C'est cet effet que Jentsch définit comme la vraie source de la terreur. Freud n’est pas d'accord du tout, il préfère cette histoire d'yeux qui sont le miroir de l'âme et dont la perte constitue un vol d'identité qui colle parfaitement avec sa théorie de la castration.
Bon au moins Freud nous donne une définition du mot Unheimlich qui contient deux éléments de base. D'abord, Unheimlich est l'opposé de Heimlich qui représente le côté « du familier, du confortable » ce qui est intéressant c'est que Freud en vient à la conclusion suivante: « Heimlich est donc un mot dont la signification évolue en direction d’une ambivalence, jusqu’à ce qu’il finisse par coïncider avec son contraire unheimlich. Unheimlich est en quelque sorte une espèce de heimlich. » La peur vient de quelque chose qui nous est familier au moment où ce dernier cesse de l'être. Et puis il dit aussi: « Serait unheimlich tout ce qui devait rester un secret, dans l’ombre, et qui en est sorti. » Genre le Sandmann de l'histoire de Hoffmann qui, au lieu de rester un conte pour enfants, s'invite comme un malpoli dans la réalité. Mais en plus général on peut considéré n'importe quel élément qui vous oblige à revoir votre vision du monde comme une source de Unheimlich.
Le reste c'est du psychoblabla et je vous l'épargne.
Qu'est-ce qu'on peut garder pour le JDR?
Là on est à la base de la base. Pour faire plus basique, il faudrait ouvrir un dictionnaire de psychologie et regarder la définition de la peur (au programme pour un prochain billet). Mais on peut retenir une règle que tous les fans de films connaissent déjà: le moment où tu fais apparaître le monstre, le malaise, c'est fini. La vraie angoisse, l'ambiance créée par les grands noms de l'horreur, vient AVANT que le personnage identifie la source du danger. Pour mettre une ambiance à votre table, il va falloir réussir à faire soupçonner aux joueurs qu'ils sont en danger, mais ne rien leur donner de plus qu'un soupçon. En gros maîtriser l'art du rien qui est quelque chose.
Bonne chance. Je sais que moi je vais en avoir besoin.
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